J’ai huit ans lorsque j’arrive au camp pour la première fois et je ne me doute pas que j’y arriverai encore plusieurs fois avec toujours le même sentiment dans le fond du ventre. Les années passent, mais certaines choses restent pareilles au bord du lac Androscoggin, préservées de tout changement. Toujours le cœur qui bat aussi vite quand on descend la côte en voiture, quand je sais qu’un mois de fous rires, d’ours polaires et de cantines m’attend en bas. Toujours les yeux qui brillent autant quand c’est ma chanson (« Jeune demoiselle » ou n’importe quelle chanson de Céline) qui joue à la cantine. Toujours les yeux qui se remplissent de larmes quand il faut partir à la fin du mois (surtout quand la chanson de flûte triste se met à jouer).
J’ai onze ans et je suis dans la cabine des écureuils. Nous devrions dormir, mais nous sommes toutes sur nos lits, trois lampes de poche allumées pour que la journée qui a pourtant été belle ne se termine pas tout de suite. Chacun son tour de parler, de raconter, de se confier. On étouffe nos rires dans nos oreillers ; il ne faudrait surtout pas que la garde nous entende. Les lumières s’éteignent une à la fois, les voix aussi. La conversation se poursuit jusqu’à ce qui nous paraît comme très tard.
Je ne le sais pas encore, mais la conversation ne cessera jamais. Encore aujourd’hui, c’est avec les mêmes amies rencontrées dans une petite ville du Maine que je parle, que je raconte, que je me confie. Le camp aura été pour moi beaucoup d’apprentissages, mais celui de l’amitié a probablement été le plus précieux. Loin de la ville, des distractions, de tout ce qui va vite, on prend le temps d’écouter l’autre et de s’écouter soi. Les conversations sont plus vraies et les liens qui en naissent sont plus forts.
J’ai dix-neuf ans et je suis conseillère. Mon premier été en tant que membre du personnel se termine. L’été a été intense, rien ne s’est vécu à moitié et c’est pour le mieux. Les souvenirs les plus marquants prennent racine dans les émotions les plus fortes ; j’ai la mémoire pleine. Je sais que je me souviendrai toute ma vie des moments vécus au camp, puisque je n’aurais pu les vivre nulle part ailleurs que dans le fin fond du Maine. C’est parce qu’on fait des choses qu’on ne pourrait faire nulle part ailleurs qu’au camp qu’il est si spécial.
À Tekakwitha, je me sens chez moi. J’ai beau plier bagage à la fin de l’été, mes souvenirs, eux, restent au camp et ne partiront jamais. Ils me rappellent que je pourrai toujours trouver refuge quelque part dans les bas-fonds du fond du Maine.
– Jeanne
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